Vigilife : à l’aube de la révolution
Beauval Nature soutient Spygen depuis une décennie, une organisation qui développe une technologie novatrice qui pourrait bien révolutionner la recherche sur le terrain. En 2018, Spygen a créé l’alliance Vigilife, qui rassemble de nombreux acteurs de la conservation. Beauval Nature est fière de faire partie des membres fondateurs de cette alliance.
Il est parfois bien difficile de détecter la présence d’une espèce dans un environnement donné. Entre les conditions d’expéditions dans des régions reculées parfois impraticables, la faculté de certains êtres vivants à pouvoir se camoufler dans leur écosystème, les différents dangers, la fatigue et le coût des équipements, effectuer un inventaire de la faune relève parfois de l’impossible. Pourtant, les animaux – et les végétaux – laissent partout autour de nous des traces de leur présence. Il peut s’agir de touffes de poils, d’écailles, de salive, de sang, d’urine, d’excréments, de semence… Ces traces, bien que presque invisibles, partagent toutes une caractéristique commune : elles contiennent l’ADN de l’être qui les a déposées, et témoignent indirectement de sa présence.
Depuis 2011, la société française de biotechnologie SPYGEN étudie ces indices génétiques, baptisés « ADN environnemental » (ou « ADNe »), et a développé au fil des années différentes technologies permettant d’améliorer le suivi de la biodiversité aquatique. Celles-ci permettent de filtrer l’ADNe contenu dans un échantillon d’eau, puis après plusieurs étapes d’analyse en laboratoire, de comparer ces séquences d’ADN à une base de données recensant les informations génétiques connues des différentes espèces de la planète. Une idée révolutionnaire qui fait naitre un nouveau jour sur le monde de la conservation.
Contrecarrer l’invasion des grenouilles
Cette idée a été testée pour la première fois en 2008 par le Laboratoire d’Écologie Alpine (LECA) pour détecter la présence de la grenouille taureau, une espèce invasive en France. Cet amphibien originaire d’Amérique et transporté en Europe déstabilise complétement les écosystèmes qu’il colonise et pousse certaines espèces – comme le pélobate brun – au bord de l’extinction. À l’époque, lorsque les premières grenouilles taureaux étaient observables près d’une étendue d’eau, il était souvent déjà trop tard : la reproduction et la ponte de centaines, voire de milliers d’œufs avaient déjà eu lieu.
Dans le cadre d’un doctorat mené avec le LECA, Tony Dejean, alors Chargé de mission au sein du Parc naturel régional Périgord-Limousin où cette espèce invasive est bien présente, a poursuivi le développement de cette méthode innovante d’inventaire. Avant que cette nouvelle technologie ne soit disponible, l’une des seules façons permettant de confirmer la présence de grenouilles taureaux avant l’irrémédiable invasion consistait à se rendre de nuit près des mares et des lacs pour tenter d’écouter leur chant ; une méthode contraignante et loin d’être toujours efficace, qui appartient désormais au passé. L’entreprise SPYGEN est ensuite née de la volonté de partager ce nouvel outil avec l’ensemble de la communauté scientifique et de le mettre au service des enjeux de connaissances et de surveillance de la biodiversité.
Une alliance pour la conservation
Plus de 12 ans après sa création, SPYGEN est aujourd’hui à l’origine de l’alliance Vigilife, qui regroupe des acteurs d’horizons différents : instituts de recherche scientifique, associations de conservation de la nature, dont Beauval Nature etc. et collabore avec des organismes prestigieux, tels que le Fonds Mondial pour la Nature (WWF). De récentes expéditions scientifiques menées aux quatre coins du monde ont d’ailleurs permis de franchir un nouveau cap en termes d’acquisition de données à grande échelle grâce à la détection d’ADNe.
C’est le cas en Méditerranée avec le programme des Aires Marines Protégées (AMP) qui vise à mieux connaitre la biodiversité marine pour la protéger plus efficacement. Ou encore l’étude de 30 fleuves dits « sentinelles » sur six continents, qui possèdent un impact majeur sur les écosystèmes qu’ils traversent, mais également sur les activités humaines qu’ils permettent. Une importante partie de la biodiversité qui habite ces milieux est encore méconnue. L’utilisation globale de la technologie développée par SPYGEN et ses partenaires révolutionne jour après jour la recherche sur le terrain, et permet d’étudier des zones qui semblaient inatteignables il y a encore peu. Il est par exemple aujourd’hui envisageable d’envoyer des préleveurs à ADNe à plusieurs centaines de mètres de profondeur dans les océans, ou d’utiliser des drones pour atteindre des zones inaccessibles.
De nouvelles perspectives…
À terme, il serait même possible d’affiner la détection d’ADNe pour reconnaitre la diversité génétique à l’intérieur d’une espèce : mettre en lumière des populations particulières d’animaux, voire des individus précis ! Il est également envisagé de réduire le temps pour obtenir les résultats des analyses génétiques. Actuellement, les analyses se font en laboratoire et prennent généralement entre 1 et 3 mois, mais des missions scientifiques imminentes, en partenariat avec Beauval Nature/HELP Congo et l’université SUISSE ETH de Zurich, vont tenter dans les prochaines semaines d’accélérer l’analyse des échantillons en les réalisant directement sur le terrain et en moins de 24 heures ! Les technologies de l’ADN environnemental pourraient également servir dans d’autres domaines, notamment en santé publique afin d’évaluer la présence d’ADN appartenant à des organismes pathogènes présentant un risque sanitaire. Il est certain que nous commençons seulement à entrevoir le potentiel qu’offre cette avancée scientifique !