Des espèces menacées, et des espèces menaçantes
Ce qu’il faut retenir en cinq points :
- Les espèces exotiques envahissantes correspondent aux animaux et végétaux prélevés par l’Homme dans un environnement donné, puis introduits dans un nouveau milieu dans lequel ils prolifèrent et en déstabilisent l’équilibre naturel.
- Ces espèces font partie des causes majeures d’effondrement de la biodiversité. Elles sont impliquées dans 60% des extinctions connues à l’échelle mondiale. Elles entrent en effet en compétition avec les espèces indigènes pour l’occupation de l’espace, l’utilisation des ressources, peuvent adopter des comportements de prédateurs et transmettre des maladies mortelles. En France métropolitaine, d’après l’INPN, un département compte en moyenne 12 espèces exotiques envahissantes de plus tous les dix ans.
- L’introduction (volontaire ou non) d’espèces à potentiel invasif ne date pas d’hier, et certains exemples tels que celui du rat ou du chat remontent à plusieurs milliers d’années.
- Les espèces exotiques envahissantes entraînent des conséquences écologiques, mais également économiques : d’après l’Office Français de la Biodiversité, le coût des impacts et de la gestion des espèces exotiques envahissantes en France et dans ses territoires d’outre-mer a été estimé à 395 millions d’euros par an, entre 1993 et 2018.
- Il est possible au quotidien de participer à la lutte contre les espèces invasives en consommant des produits locaux, et en se renseignant avant de prendre un animal de compagnie sur les conséquences que sa présence peut avoir.
Beauval Nature s’engage dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes grâce à différents programmes de conservation. Dans le cadre des amphibiens de Sologne, des mesures sont prises pour empêcher l’invasion de la grenouille taureau, tandis qu’en Polynésie française, la conservation des monarques de Fatu Hiva intègre des actions de régulation du rat noir et du chat haret. Sur les mêmes archipels, la lutte contre l’escargot carnivore de Floride et le ver plathelminthe de Nouvelle-Guinée est également essentielle pour sauver les escargots Partula, endémiques de cette région, de l’extinction.
C’est l’occasion d’en apprendre plus sur l’histoire des différentes introductions de ces espèces en Europe, ainsi que les conséquences de la présence de ces animaux et de ces plantes sur les écosystèmes qu’ils colonisent.
Au cours des 3,5 milliards d’années qui se sont écoulées depuis l’apparition de la vie sur Terre, la biodiversité a traversé des épisodes de crises. Les plus violents de ces épisodes, au nombre de cinq et qualifiés d’« extinctions de masse », ont vu plus de la moitié des espèces disparaitre sur une période de temps relativement courte. La plus célèbre et qui concerne une grande partie des espèces de dinosaures, remonte à 66 millions d’années. Pourtant, l’ère des humains, marquée par le début de l’ère industrielle et baptisée « Anthropocène », marque le seuil d’un nouvel épisode tragique.
La crise contemporaine de la biodiversité est liée à de nombreux facteurs, et provoque une érosion massive des espèces du monde entier. Cinq causes majeures, qualifiées de « menaces », ont été identifiées : la destruction des milieux naturels, la surexploitation des espèces sauvages, l’artificialisation des sols, la pollution, et les espèces exotiques envahissantes. Cette dernière cause menace plus d’un tiers des espèces terrestres, et est impliquée dans 60% des extinctions connues à l’échelle mondiale. D’après l’INPN – l’Inventaire National du Patrimoine Naturel – en France métropolitaine, depuis 1982, un département compte en moyenne 12 espèces exotiques envahissantes de plus tous les dix ans.
Qu’est-ce qu’une espèce exotique envahissante ?
Les espèces exotiques envahissantes correspondent aux animaux et végétaux prélevés par l’Homme dans un environnement donné, puis introduits dans un nouveau milieu dans lequel ils prolifèrent et en déstabilisent l’équilibre naturel. Le potentiel invasif d’une espèce est lié à de nombreux facteurs, comme ses facultés d’adaptation à un environnement changeant, sa vitesse de reproduction, ou encore un environnement colonisé favorable (nourriture abondante, absence de prédateur naturel…). L’introduction d’espèces exotiques peut être volontaire : dans ce cas, une espèce peut être introduite pour ses caractéristiques esthétiques, son utilité dans certains domaines ou par simple curiosité pour ce qu’elle représente. Il arrive également qu’une introduction d’espèce exotique à potentiel envahissant soit une conséquence non-volontaire due à des déplacements de biens ou d’êtres humains.
Une invasion qui ne date pas d’hier…
L’introduction d’espèces exotique, qu’elle soit volontaire ou non, est loin d’être un phénomène nouveau, et certains exemples remontent à plusieurs siècles, voire millénaires. C’est le cas du rat noir, originaire d’Asie du Sud, qui est aujourd’hui présent en Europe, en Afrique, en Amérique et en Océanie. Les premières traces de colonisation du bassin méditerranéen par cette espèce remonteraient à près de 4000 ans ! Les rats se seraient ensuite propagés au rythme de l’expansion romaine entre le premier siècle avant Jésus-Christ et le deuxième siècle, avant d’accompagner sur les navires les explorateurs du Nouveau Monde au XVe siècle. Cela n’a pas été sans conséquences : de nombreuses espèces natives colonisées par les rats noirs ont grandement été impactées, et plus de 70 espèces d’oiseaux, de mammifères et de reptiles ont aujourd’hui complétement disparu. Cela est lié à la grande faculté d’adaptation des rats : ils sont omnivores, opportunistes, et se reproduisent à grande vitesse. Autant de caractéristiques qui les rendent particulièrement compétiteurs, et bien souvent vainqueurs…
Les écureuils gris d’Amérique
Plus récemment, en 1876, des écureuils gris d’Amérique ont été introduits en Europe pour apporter de la diversité dans les forêts du continent. Les conséquences ont été dévastatrices pour les populations natives d’écureuils roux européens, car les écureuils gris entrent en compétition directe avec elles pour l’occupation du territoire et l’utilisation des ressources alimentaires. Certains individus d’Amérique introduits en Europe étaient également porteurs sains d’une maladie mortelle pour les écureuils européens, qui se propage encore aujourd’hui. En conséquence, les populations d’écureuils roux ne cessent de décliner depuis 150 ans, et les écureuils gris d’Amérique font aujourd’hui partie des 100 espèces exotiques envahissantes les plus menaçantes pour la biodiversité selon l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature).
Le fléau des frelons
Un autre exemple récent permet d’illustrer l’introduction non-volontaire d’espèces exotiques : il s’agit de l’arrivée du frelon asiatique. En 2004, un horticulteur du Lot-et-Garonne aurait en effet importé des poteries provenant de Chine, qui contenaient une colonie de frelons. 20 ans plus tard, les frelons asiatiques sont présents sur l’ensemble du territoire français métropolitain, au nord de l’Espagne, au Portugal, en Italie, au sud de l’Angleterre, aux Pays-Bas, en Suisse, et en Hongrie. Ces frelons représentent un véritable fléau, notamment pour les populations d’abeilles européennes qu’ils prédatent. Leur présence présente donc un impact négatif sur la pollinisation des végétaux, et sur la stabilité des écosystèmes.
Des espèces invasives qui ont conquis les cœurs : le cas du chat
Un cas qui mérite d’être souligné est celui du chat domestique, car il fait partie des animaux de compagnie les plus adorés de la culture occidentale. Pourtant, le chat est aussi une espèce exotique envahissante, et a même rejoint le classement des prédateurs invasifs les plus répandus au monde. Originaire d’Asie, il a progressivement colonisé le reste du monde grâce à une relation étroite avec les populations humaines. Le chat aurait en effet servi lors du développement de l’agriculture comme agent de lutte naturel contre les espèces dites « nuisibles » aux plantations, avant d’intégrer petit à petit l’intérieur des foyers. Restant néanmoins des prédateurs, les chats domestiques sont de véritables perturbateurs des écosystèmes qu’ils ont colonisés au fil du temps. En France, chaque année, ce sont plus de 6 millions d’oiseaux, dont des espèces protégées et menacées, qui sont tués par ces compagnons griffus. (D’où l’importance de bien connaitre l’impact des animaux de compagnie sur leur environnement immédiat…).
Qu’en est-il des zones humides ?
Les zones humides, écosystèmes essentiels à la captation des émissions de carbone atmosphérique, ne sont pas épargnées par les espèces exotiques envahissantes. En France, au moins 86% des zones humides ont subi la pression de ces espèces entre 2010 et 2020. Du côté des espèces végétales exotiques envahissantes qui les impactent, il est possible de retrouver deux espèces de jussies, originaires d’Amérique du Sud et introduites en France au XIXe siècle comme plantes d’ornement des bassins. Ces plantes à fleur forment une couche dense à la surface des cours d’eau, ce qui a pour conséquence d’altérer les échanges gazeux entre l’eau et la surface, et d’amoindrir la quantité de lumière capable de traverser. L’élodée dense – autre plante également originaire d’Amérique du Sud – est quant à elle particulièrement compétitrice, et empêche les plantes indigènes de se développer correctement. Elle serait arrivée en Europe par le biais des aquariophiles, car elle est peu contraignante et possède des facultés d’oxygénation de l’eau tout en empêchant la prolifération des microalgues.
Du côté des animaux, les écrevisses américaines – représentées par plusieurs espèces, dont les écrevisses de Californie, les écrevisses rouges de Louisiane, les écrevisses calicots et les écrevisses juvéniles – sont un fléau pour les écrevisses locales à pattes rouges et à pattes blanches. Les écrevisses américaines entrent en effet directement en compétition directe pour la nourriture, et indirecte car elles sont porteuses saines d’une maladie baptisée « la peste des écrevisses » qui ravage les populations autochtones. En conséquence, les écrevisses européennes disparaissent rapidement des cours d’eau et pourraient bien s’éteindre complétement dans un avenir proche.
L’invasion des grenouilles taureaux
Une autre espèce dont la présence représente une menace pour les zones humides est la grenouille taureau. Introduite en France en 1968 par un propriétaire privé qui désirait agrémenter sa mare d’une nouvelle espèce, cette grenouille qui peut atteindre les 20 centimètres de long est originaire de la côte Est des Etats-Unis. Dans son milieu naturel, elle est naturellement régulée par la présence d’alligators, mais l’absence de prédateurs en Europe, sa taille conséquente et sa vitesse de reproduction (entre 10 000 et 25 000 œufs par ponte) lui ont permis de coloniser rapidement de nouveaux espaces. Omnivore, elle s’adapte facilement et perturbe la chaîne alimentaire à différents niveaux. Elle fait également office de prédateur pour les espèces d’amphibiens plus petites et provoque la disparition des populations indigènes. Comme les écrevisses américaines ou les écureuils gris d’Amérique, elle est également vectrice d’une maladie mortelle pour d’autres amphibiens locaux, appelée la chytridiomycose. D’après l’UICN cette maladie, provoquée par un champignon et transmise par des spores dans l’eau, mène une grande partie des amphibiens à l’extinction « avec une rapidité jamais observée chez un groupe taxonomique dans l’histoire de l’humanité ». Beauval Nature s’engage justement depuis plus de dix ans dans la conservation des amphibiens, et participe activement à la détection des espèces invasives telles que la grenouille taureau afin d’agir avant qu’il ne soit trop tard !
Des conséquences écologiques, mais également économiques…
Les espèces exotiques envahissantes représentent une menace écologique majeure pour la stabilité des écosystèmes, et ce n’est pas sans conséquence économique. La dégradation rapide des milieux naturels liée à la présence de ces espèces provoque une grave perte de rendements, et la lutte contre les invasions demande un investissement financier très élevé. Dans le marais Poitevin, les coûts pour limiter l’impact de la jussie s’élèvent à 200 000 euros par an, et cette plante aurait déjà occasionné 82 millions d’euros de dommages totaux. D’après l’Office Français de la Biodiversité, « le coût des impacts et de la gestion des espèces exotiques envahissantes en France et dans ses territoires d’outre-mer a été estimé à 395 millions d’euros par an, entre 1993 et 2018 ». Dans le monde, le coût économique des insectes invasifs est, quant à lui, estimé à 69 milliards d’euros par an.
La gestion des espèces exotiques envahissantes représente donc un enjeu majeur impossible à ignorer dans le cadre de la conservation des écosystèmes. Il est également essentiel de prendre des mesures pour empêcher que d’autres cas puissent se présenter à l’avenir, en consommant par exemple des produits locaux, en se renseignant avant d’accueillir un nouvel animal ou une plante, et en sensibilisant les plus jeunes !
Pour soutenir les actions de Beauval Nature, dont la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, c’est par ici !